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Après Jules Renard, Léautaud, Gide et Claudel, c'est à Paul Morand d'entrer dans la caste des grands diaristes contemporains avec les trente-deux cahiers de ce Journal inutile écrit entre 1968, date de sa seconde et victorieuse candidature à l'Académie française (de Gaulle avait annulé la première), et sa mort en 1976. Le diplomate dandy des années vingt et trente, ami de Proust, a cédé la place, dans ce Journal, à un sportsman vétéran en deuil de l'Europe. C'est d'un journal après-coup qu'il s'agit, une longue et amère [...] méditation sur la France post-gaullienne. Étranger mais attentif au changement du décor social et intellectuel, il y jette un œil las et blasé, se regarde vieillir ainsi que ses proches, pallie le désenchantement par une fringale de lectures et de souvenirs évoqués entre soi, fréquente des lieux qui ne sont pour lui que des cadres vides qu'il emplit de souvenirs, d'impressions fugaces. Face à un monde qu'il réfute, à un corps qui vieillit, Morand se dope aux souvenirs qui sont les grands moments du Journal. Les évocations de Proust, Montherlant, Claudel, Chardonne sont les fils rouges qui courent dans ces deux forts volumes (voir volume 2) grevés néanmoins par certaines saillies antisémites et homophobes. Reste le style Morand : la prose souple et exacte, lyrique et concise de celui, selon Céline, qui faisait "jazzer la langue". "Il n'intéressera personne, ne sera pas lu…", déclarait Morand. Pas sûr. Un inédit capital pour l'intelligence de la sensibilité littéraire française contemporaine. --François Angelier
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Paul Morand, né le à Paris 8e et mort le à Paris 15e[1], est un écrivain, diplomate et académicien français.
Son père, Eugène Édouard Morand, occupe à Paris, grâce à l'entremise de son beau-frère Abel Combarieu, directeur du cabinet du président de la République[2] plusieurs fonctions liées à l'art : conservateur du Dépôt des marbres en 1902, directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs en 1908. Il fréquente également les poètes, dont le cercle des Amis de Mallarmé, les artistes et les sculpteurs, dont Auguste Rodin, pendant la jeunesse de Paul. On lui prête cette simple réponse à la sempiternelle question : « Que voulez-vous faire de votre fils ? — Un homme heureux. »
Eugène Édouard Morand meurt en 1930, et son épouse en 1947. Paul Morand a pour oncle Abel Combarieu, secrétaire général et directeur du cabinet civil de la Présidence de la République de 1899 à 1906 et frère du musicologue Jules Combarieu. C'est Abel Combarieu qui introduisit Morand aux Affaires étrangères (service du Protocole) en 1912[3].
Le jeune Paul apprend l'anglais très tôt et se rend à Londres à plusieurs reprises durant son adolescence (1902, 1903, 1904, 1908, 1909, 1913). Il visite aussi Venise et l'Italie du Nord et, chaque été, séjourne pendant un mois près du lac de Côme.
Il entre au collège Jules Ferry, puis au lycée Chaptal.
Dans ses Propos Secrets (Albin Michel, 1980, tome 2, p. 363 et 364), Roger Peyrefitte mentionne Morand à propos du « scandale Fersen » dans lequel plusieurs de ses jeunes condiciples du lycée Carnot à Paris paraissent avoir été victimes de pédophilie ; il publie la lettre (non datée) que celui-ci lui adressa à la suite de la publication de l'Exilé de Capri — que Morand renomma Uranus 1900 — qui lui avait rappelé certains épisodes de son enfance.
Il rate l'oral de philosophie de son baccalauréat, en 1905. Jean Giraudoux devient son précepteur et le jeune Paul se transforme tout d'un coup en élève assidu. Il intègre l'École libre des sciences politiques, puis termine premier au concours du Quai d'Orsay. Tout en débutant dans la carrière administrative, où il reçoit l'appui de Philippe Berthelot, il fréquente les milieux littéraires, fait la connaissance de Jean Cocteau et de Marcel Proust - qui vient d'ailleurs le rencontrer chez lui[4], et s'essaie à la poésie en composant une Ode à Marcel Proust.
Attaché à l'ambassade de Londres, il rentre à Paris et est affecté au cabinet du ministre des Affaires étrangères pendant la 1re guerre mondiale. Il est ensuite en poste à Rome et à Madrid. Son amitié avec Philippe Berthelot lui permet de faire des missions diplomatiques qui sont en fait à but littéraire. Après son mariage il se fait mettre en congé illimité mais réintègre la Carrière en 1939, il est nommé à Londres pour diriger la Mission économique française.
Ses premiers textes publiés sont des poèmes, notamment Lampes à Arc en 1919. Mais il fait sa véritable entrée en littérature en 1921 avec la parution de son premier ouvrage en prose, Tendres Stocks, un recueil de nouvelles préfacé par Proust.
Au cours des années 1920-30, il écrit de nombreux livres, récits de voyage, romans brefs et nouvelles (Ouvert la nuit, Lewis et Irène...), qui frappent par la sécheresse du style, le génie de la formule et la vivacité du récit, mais aussi par la fine description des pays traversés par l'auteur ou ses personnages, généralement de grands bourgeois cultivés aux idées larges.
Son écriture témoigne également d'une certaine vision du métissage : « En fait, si comme dit Emerson, la nature adore les mélanges, elle ne les adore pas tous, on ne saurait visiter une université ou un collège noir aux États-Unis, contempler ces innombrables métis si appliqués et pourtant si studieux, ces visages d'Européens égarés sous d'affreuses tignasses laineuses, ces négresses blondes ou rousses, ces âmes brûlées par des désirs contradictoires, ces corps dont toutes les proportions ont été bousculées, violées dans le combat des deux hérédités, sans ressentir cette pitié angoissée, mêlée de répulsion qu'inspirent les anomalies humaines... » (Citation extraite d'Hiver Caraïbe, 1926).
Durant la même période, il pratique le journalisme, notamment pour Le Figaro. Il exerce aussi le métier d'éditeur en dirigeant chez Gallimard la collection « Renaissance de la nouvelle », où paraissent en 1938 les Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, et est également membre du Comité de direction de l'Association du Foyer de l’Abbaye de Royaumont.
Le , à Paris, il épouse la riche Roumaine d'origine grecque Hélène Chrissoveloni (1879-1975), princesse Soutzo (1879-1975), dont le frère Jean (+ 1926), banquier fort cultivé et polyglotte, avait acquis trois ans plus tôt, avec son épouse Sybille, le château des Mesnuls (Yvelines), où le couple très mondain donna des fêtes fastueuses.
Portrait du chef de la mission française en Angleterre de guerre économique en 1939 par Élisabeth de Miribel : « Paul Morand me plaît. Il est souple, insaisissable. Il ne s'impose jamais, mais s'insinue. Il reste toujours, avec lui, quelque chose d'inexprimé. Il pense plus loin que ne le laisse supposer son extraordinaire facilité. Il ne se livre, ni se commande. Il plane : inchangé et fluide au-dessus de la marée humaine. Son raisonnement est formé d'intuitions brillantes qu'il ne cherche pas à prouver. Il sait s'entourer sans appartenir à personne. Il réussit auprès des Anglais par persuasion, par standing social plutôt que par des démarches officielles... »[5].
Un des faits marquants de la vie de Morand est son attitude durant la Seconde Guerre mondiale et sa proximité avec le régime de Vichy[6].
Après avoir été mis à la retraite d'office en 1940, il est nommé, lors du retour de Pierre Laval au gouvernement en 1942, ambassadeur de France en Roumanie, pays d'origine de la famille de son épouse, dont l'important patrimoine inspirera à Charles de Gaulle ce mot : « Les possédants sont possédés par ce qu'ils possèdent » (Alain Peyrefitte, C'était De Gaulle).
Jean Jardin, éminence grise de Pierre Laval, favorise son départ de Bucarest en 1944, lors de l'avancée des troupes russes, et le fait nommer en Suisse.
Lorsque la guerre se termine, il est ambassadeur à Berne, ce qui lui vaut d'être révoqué à la Libération par le général de Gaulle; son attitude durant l'Occupation lui vaudra longtemps une solide inimitié de ce dernier qui, après son retour au pouvoir en 1958, empêchera jusqu'en 1968 son entrée à l'Académie française. À cause de cela, Morand l'appellera toujours avec mépris « Gaulle », notamment dans sa correspondance avec son ami Jacques Chardonne.
Après la Guerre, il est contraint à l'exil à Vevey en Suisse. Il y passe une dizaine d'années, au grand dam d'autres écrivains en exil, avant d'être à nouveau admis sur le sol français. On continue néanmoins de lui reprocher ses amitiés du temps de Vichy et le soutien de l'Occupant à la publication de ses ouvrages, tandis que lui-même proteste de son intégrité[7].
Au sujet de son exil forcé, il écrira plus tard : « L'exil est un lourd sommeil qui ressemble à la mort. » (Chronique de l'homme maigre)
Durant ces années, il se consacre à la poursuite de son œuvre, marquée par des orientations nouvelles et, notamment, par un intérêt nouveau pour l'Histoire, ainsi qu'en témoignent Le Flagellant de Séville et Fouquet ou le Soleil offusqué.
Il devient à la même époque, avec Jacques Chardonne, le modèle et le protecteur d'une nouvelle génération d'écrivains qu'on appellera par la suite les Hussards. Il entretient une relation quasi filiale avec le premier d'entre eux, Roger Nimier.
Il est élu à l'Académie française le 24 octobre[8] 1968 au fauteuil no 11 de Maurice Garçon, élu en 1946. Mais le chef de l'État, contrairement à la tradition, ne le recevra pas, après avoir pourtant levé son veto de manière implicite en déclarant au Secrétaire Perpétuel : « Paul Morand… qui va être des vôtres, n'est-ce pas ?. » Pauline Dreyfus a tiré un roman de la campagne qui précéda cette élection, Immortel, enfin (2012).
Morand survit un an et demi à son épouse, décédée le 27 février 1975, et meurt à l'hôpital Laennec à Paris; conformément aux dispositions de son testament, ses cendres seront mêlées à celles de son épouse à Trieste, ville dont elle était originaire.
Il avait annoncé ses intentions dans Venises : « Un cimetière à Trieste (…) J'ai accepté l'asile que m'offrent mes cousines par alliance, dans le mausolée des E… ; il date de François-Joseph (…) C'est une noble pyramide de pierre, haute de six mètres, un morceau d'éloquence toute italienne (…). On est loin du décor funèbre des grandes capitales, de la cohue des pierres tombales (…). Champ de repos vert au milieu du désert des vivants. Là, j'irai gésir, après ce long accident que fut ma vie. Ma cendre, sous ce sol, une inscription en grec en témoignera ; je serai veillé par cette religion orthodoxe vers quoi Venise m'a conduit. » (Venises, Gallimard, 1971, p. 214 et 215).
Bernard Beyern fera de la crémation de Morand le récit suivant : « Paul Morand fut crématisé au plus fort de la canicule de l'été 1976. On confia ensuite à un employé le soin de ramener l'urne jusqu'au domicile du de cujus. Sans savoir qui il transportait sur le porte-bagages de son Solex, le fonctionnaire assoiffé a traversé la capitale dans plusieurs bistrots pour boire une grenadine. Ainsi l'auteur de Venises commença-t-il son dernier voyage vers l'Italie (…), par des stations sur les trottoirs de la Roquette… »[9].
Roger Nimier avait écrit au sujet de Morand : « Un jour il bondira, vieux sportif, dans la mort. »
Morand eut de la peintre et décoratrice bordelaise Madeleine Mulle une fille, Marie-Claude Morand, née à Bordeaux le , qui fut élevée au sein du mariage postérieur de sa mère avec le photographe Louis-Victor Emmanuel Sougez, dans l'œuvre duquel elle apparut fréquemment sous le nom de Claude.
Sur le choix de Vichy par Morand, le regard de Charles de Gaulle est ainsi rapporté par Alain Peyrefitte : « [...] Laval ne lui demandait même pas de rentrer [...]. Il est parti par le même bateau que l'ambassade. On ne voulait pas de lui à Vichy et on lui a tenu rigueur de son abandon de poste. Il était victime des richesses de sa femme. Pour les récupérer, il s'est fait nommer ministre de Vichy à Bucarest. Puis, quand les troupes russes se sont approchées, il a chargé un train entier de tableaux et d'objets d'art et l'a envoyé en Suisse. Il s'est fait ensuite nommer à Berne, pour s'occuper du déchargement. » (Charles de Gaulle, 20 mai 1962, C'était de Gaulle, Fayard, tome I, 1994, p. 148.)
À propos de la position qu'eut envers lui Charles de Gaulle : « Le Roi, disait-on, n'est pas homme à se relâcher facilement de son courroux ni de se déprendre de ses haines d'État […]. Il ne fallait pas croire néanmoins qu'il eût le cœur dur […]. Les rois sont souvent magnanimes et pitoyables. Un homme de beaucoup de lettres, quoiqu'elles ne l'eussent pas mis dans l'Académie Française, Paul Morand, ne contait-il pas dans un livre plein d'âme et de pétillement sur Fouquet, que si le Surintendant eût été condamné à mort, Louis XIV n'eût pas oublié, dans sa miséricorde, de changer la pendaison en décapitation. » (André Ribaud, La Cour, Julliard, 1961, p. 157)
Un amateur d'art asiatique
Maurice Rheims, qui fut son ami depuis 1959, évoque dans ses entretiens avec François Duret-Robert (En tous mes états, Gallimard, 1993, p. 93-97), cet « homme délicieux, amateur raffiné » qui fut son mentor pour entrer à l'Académie, « prenant sur lui d'agir sans jamais m'en parler » (auprès de Guitton, Ionesco, Druon, etc.), et son épouse, « vieille impératrice asiatique, savourant son thé dans une tasse en céramique bleue d'époque Ming, assise au centre d'un trône moghol du XVIIIe s. marqué d'un M majuscule, acquis par Morand lors d'un voyage ».
Désigné comme son exécuteur testamentaire, le commissaire-priseur fut chargé des modalités du legs de leurs biens à l'Académie et acquit ce « trône asiate » lors de la vente aux enchères publiques de la succession des 16 et 17 novembre 1977 au Palais d'Orsay à Paris, qui comprenait un grand portrait en pied d'Hélène Morand au pastel par Lucien Lévy-Dhurmer et les nombreux tableaux, meubles et objets d'art en majeure partie d'Extrême-Orient, qui ornaient l'hôtel particulier de l'avenue Charles-Floquet à Paris (construit pour son beau-père le prince Soutzo par Pierre Humbert) et la maison des Hayes, vers Rambouillet.
Un jeune mondain tenté par l'homosexualité ?
Il indique que c'est chez Marcel Schwob que son père connut Oscar Wilde - qui lui conseilla de l'envoyer à Oxford - évoque le collège des Maristes de la rue de Monceaux, les artistes Madeleine Lemaire et Louis Morin, se souvient avoir fréquenté jeune « le Thé de Ceylan » sans savoir que c'était alors un mauvais lieu fréquenté par les « minets » Frétillé, Trouillon et Chicoulan - à qui il trouve une « figure d'hyène maçonnique » - puis en 1912-13 d'y être retourné danser le tango, de Colette — une « gousse » — danser en caleçon de panthère au Jardin de Paris en 1908 ou 1909, de promenades l'été sur les Champs-Élysées avec Giraudoux « encore adolescent et furonculeux, un mouchoir entre son cou et son haut col empesé. »
Peyrefitte évoque également l'hôtel appartenant à sa richissime épouse, qui, n'en occupant que le rez-de-chaussée, en avait loué les étages — son petit-fils et héritier auto-désigné Charles-Albert de Broglie en occupant une chambre — lors d'une réception donnée par Alberto Pinto, Elsa Martinelli et leur ami commun Anthony Tannoury, quelques années après la mort du couple Morand (hiver 1979 ?) : « […] des pièces ouvrant sur le Champ-de-Mars, ornée de palmiers et de yuccas, aux plafonds les plus hauts de Paris, aux murs recouverts de faience bleue ou laqués blanc : (dans) ce palais marocain ne restait de Morand que deux grandes armoires chinoises. Ce qui avait été l'endroit le plus sombre, où semblait flotter une éternelle brume 1900, était maintenant le plus lumineux. Ainsi va la vie...et la mort, car, de toutes les personnes que j'avais vues là, aucune n'était plus de ce monde. » Le magazine Maison et Jardin a publié un reportage sur cet intérieur à cette époque.
Le legs tardif d'un amateur de vin à un autre.
Dans sa biographie d'Antoine Blondin, Yvan Audouard raconte comment la dernière missive de Morand à Kléber Haedens, écrite quelques jours avant la mort de celui-ci, l'informant qu'il lui léguait sa cave, parvint avec le camion transportant celle-ci au moment même où le cercueil de Haedens quittait sa maison de Labourdette, en Haute-Garonne… (Monsieur Jadis est de retour, La Table Ronde, 1994, p. 69 et 70).
« Morand est tout entier dans ses lettres […] cet incomparable épistolier offrait de fulgurantes visions sur la politique, les mœurs, l'histoire ou les élans du cœur […] ce qui éclate le plus, c'est la générosité. » (prière d'insérer de « Lettres à des amis et à quelques autres », préface de Michel Déon, présentation et notes de Ginette Guitard-Auviste — La Table Ronde, 1978).
Sa longue correspondance inédite avec Chardonne contient assez de critiques venimeuses sur leurs contemporains — dont Charles de Gaulle, André Malraux, François Mauriac, Josette Day — pour qu'ils en interdisent la publication — « Tout cela dans trente ans ne blessera plus », croit Chardonne — et qui la dépose en 1967 à la bibliothèque de Lausanne, où elle est consultable depuis 2000; il est prévu qu'elle soit publiée par Gallimard en avril 2013.
« Les deux crocodiles n'ont rien renié de leur vichysme d'antan. Morand y peste contre « l'enjuivement » de l'Académie Goncourt, traite tel écrivain de « merde juive ». Sa phobie antisémite n'a d'égale que sa détestation des homosexuels, tombant au niveau de graffiti de vespasienne […] L'aigreur colérique s'accentue au fil des années 60, mêlée à la nostalgie. » (François Dufay, op. cit., p. 140).
En 2013 est publiée chez Gallimard (préfacé par Michel Déon) sa correspondance avec l'écrivain Jacques Chardonne[10]. Il s'agit d'un premier tome couvrant leurs échanges de 1949 à 1960. Deux autres sont prévus (l'un allant de 1961 à 1964 et le troisième de 1964 à 1968, date de la mort de Charonne). L'ensemble des lettres comptera 5000 pages[11].
Après Jules Renard, Léautaud, Gide et Claudel, c'est à Paul Morand d'entrer dans la caste des grands diaristes contemporains avec les trente-deux cahiers de ce Journal inutile écrit entre 1968, date de sa seconde et victorieuse candidature à l'Académie française (de Gaulle avait annulé la première), et sa mort en 1976. Le diplomate dandy des années vingt et trente, ami de Proust, a cédé la place, dans ce Journal, à un sportsman vétéran en deuil de l'Europe. C'est d'un journal après-coup qu'il s'agit, une longue et amère [...] méditation sur la France post-gaullienne. Étranger mais attentif au changement du décor social et intellectuel, il y jette un œil las et blasé, se regarde vieillir ainsi que ses proches, pallie le désenchantement par une fringale de lectures et de souvenirs évoqués entre soi, fréquente des lieux qui ne sont pour lui que des cadres vides qu'il emplit de souvenirs, d'impressions fugaces. Face à un monde qu'il réfute, à un corps qui vieillit, Morand se dope aux souvenirs qui sont les grands moments du Journal. Les évocations de Proust, Montherlant, Claudel, Chardonne sont les fils rouges qui courent dans ces deux forts volumes (voir volume 1) grevés néanmoins par certaines saillies antisémites et homophobes. Reste le style Morand : la prose souple et exacte, lyrique et concise de celui, selon Céline, qui faisait "jazzer la langue". "Il n'intéressera personne, ne sera pas lu…", déclarait Morand. Pas sûr. Un inédit capital pour l'intelligence de la sensibilité littéraire française contemporaine. --François Angelier
Après Jules Renard, Léautaud, Gide et Claudel, c'est à Paul Morand d'entrer dans la caste des grands diaristes contemporains avec les trente-deux cahiers de ce Journal inutile écrit entre 1968, date de sa seconde et victorieuse candidature à l'Académie française (de Gaulle avait annulé la première), et sa mort en 1976. Le diplomate dandy des années vingt et trente, ami de Proust, a cédé la place, dans ce Journal, à un sportsman vétéran en deuil de l'Europe. C'est d'un journal après-coup qu'il s'agit, une longue et amère [...] méditation sur la France post-gaullienne. Étranger mais attentif au changement du décor social et intellectuel, il y jette un œil las et blasé, se regarde vieillir ainsi que ses proches, pallie le désenchantement par une fringale de lectures et de souvenirs évoqués entre soi, fréquente des lieux qui ne sont pour lui que des cadres vides qu'il emplit de souvenirs, d'impressions fugaces. Face à un monde qu'il réfute, à un corps qui vieillit, Morand se dope aux souvenirs qui sont les grands moments du Journal. Les évocations de Proust, Montherlant, Claudel, Chardonne sont les fils rouges qui courent dans ces deux forts volumes (voir volume 2) grevés néanmoins par certaines saillies antisémites et homophobes. Reste le style Morand : la prose souple et exacte, lyrique et concise de celui, selon Céline, qui faisait "jazzer la langue". "Il n'intéressera personne, ne sera pas lu…", déclarait Morand. Pas sûr. Un inédit capital pour l'intelligence de la sensibilité littéraire française contemporaine. --François Angelier