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Théoricien du libéralisme, Tocqueville montre dans De la démocratie en Amérique comment la démocratie s'est accompagnée des progrès de l'individualisme. Cependant, les droits individuels une fois proclamés et reconnus, ce goût pour la liberté s'est corrompu en passion pour l'égalité, favorisant la diffusion d'un esprit majoritaire et conformiste. En effet, à force de réclamer les mêmes droits pour tous, les individus se contentent de revendiquer une égalisation de leur condition sociale et de leur mode de vie. Or, la majorité [...] ne se reconnaissant que dans ce qui lui ressemble, l'obsession égalitariste finit par nuire à la créativité, toute volonté de différenciation étant par avance condamnée ; elle finit aussi par menacer les institutions politiques elles-mêmes. Uniquement soucieux de défendre leurs acquis sociaux et matériels, les individus se désintéressent de la chose publique et se replient sur leur vie privée, au profit d'une administration toute puissante dont la douce tyrannie menace à terme leurs libertés. Cette analyse de la pensée unique et du conformisme démocratique fait de Tocqueville un auteur résolument moderne, dont l'oeuvre a eu une influence considérable et mérite plus que jamais qu'on la découvre. --Paul Klein
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Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville, généralement appelé par convenance Alexis de Tocqueville, né à Paris le et mort à Cannes le [1], est un philosophe politique, homme politique, historien, précurseur de la sociologie et écrivain français. Il est célèbre pour ses analyses de la Révolution française, de la démocratie américaine et de l'évolution des démocraties occidentales en général.
Raymond Aron et Raymond Boudon entre autres, ont mis en évidence son apport à la sociologie[2],[3]. François Furet, quant à lui, a mis en avant la pertinence de son analyse de la Révolution française[4]. Son œuvre a eu une influence considérable sur le libéralisme et la pensée politique, au même titre que celles de Hobbes, Montesquieu, et Rousseau[5].
Né à Paris le 29 juillet 1805 dans une famille légitimiste de la noblesse normande, Alexis de Tocqueville compte plusieurs aïeux illustres. Il est par sa mère arrière-petit-fils de Malesherbes et neveu de Jean-Baptiste de Chateaubriand, frère aîné de l'écrivain François-René de Chateaubriand (Malesherbes et Jean-Baptiste de Chateaubriand seront tous deux guillotinés pendant la Terreur)[6],[7]. En outre, il descend de Saint-Louis par sa grand-mère paternelle[8]. Il est le cadet de la famille: ses deux frères,Hippolyte (1797-1877) et Édouard (1800-1874)[9]embrasseront tous deux une carrière militaire puis politique.
Ses parents, Hervé Clérel de Tocqueville, comte de Tocqueville, soldat de la Garde constitutionnelle du Roi Louis XVI, et Louise Madeleine Le Peletier de Rosanbo, évitent la guillotine de justesse grâce à la chute de Robespierre (9 Thermidor An II soit le 27 juillet 1794) qui intervient la veille de la date prévue pour leur exécution. Cette histoire familiale explique pour beaucoup l'horreur que manifestera Alexis de Tocqueville pour toute révolution violente[10].
Hervé de Tocqueville s'installe d'abord à Malesherbes puis au château de Verneuil-sur-Seine, « héritage d'échafaud » qui avait appartenu à madame de Sénozan, sœur de Malesherbes, exécutée en même temps que lui. Il est le tuteur des enfants de Jean-Baptiste de Chateaubriand qu'il élève avec les siens[11],[12]. Le 10 septembre 1804, il est nommé maire de la ville[13]. À la Restauration, il entame une carrière préfectorale favorisée par sa proximité avec le parti ultra-royaliste (préfet de la Côte-d'Or le 31 janvier 1816) qui s'achève en 1828. Il occupe alors la préfecture prestigieuse de Versailles qu'il doit quitter en janvier lorsqu'il devient pair de France[14].
Son père ayant été nommé préfet de la Moselle en 1817, Alexis fréquente le collège des Jésuites de Metz. Il y poursuit ses études jusqu'à l'obtention de son baccalauréat en 1823. À dix-sept ans, il a un enfant naturel avec la couturière de la préfecture[15].
Bachelier en 1823, licencié en droit en 1826, assistant assidûment aux conférences de François Guizot de 1828 à 1830[16], Alexis de Tocqueville est nommé juge auditeur le 5 avril 1827 au tribunal de Versailles, où il rencontre Gustave de Beaumont, substitut, qui collaborera à plusieurs de ses ouvrages. Après avoir prêté à contre-cœur serment comme magistrat au nouveau régime[17], tous deux sont envoyés aux États-Unis en 1831 pour y étudier le système pénitentiaire américain (séjour du 11 avril 1831 au 20 février 1832), d'où ils reviennent avec Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application (1832)[18]. Tocqueville s'inscrit ensuite comme avocat. Il rencontre le procureur général de l'État de Louisiane, Étienne Mazureau, qui lui fournit un grand nombre d'informations sur le plan juridique, mais également sociologique, démographique et linguistique. Alexis de Tocqueville publiera en 1835 le premier tome de son ouvrage De la démocratie en Amérique (le second en 1840), œuvre fondatrice de sa pensée politique. En 1835, il se marie à une roturière anglaise émigrée en France, Marie Motley[19], et est reçu en Angleterre par son ami John Stuart Mill, et publie son essai L'État social et politique de la France avant et depuis 1789 qui formera ses grandes bases de réflexions sur l'Ancien Régime et la Révolution. Grâce à son succès, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur (1837) et est élu à l'Académie des sciences morales et politiques (1838), puis à l'Académie française (1841).
À la même époque, il entame une carrière politique, en devenant en 1839 député de la Manche (Valognes), siège qu'il conserve jusqu'en 1851. Se positionnant initialement à gauche[20] il défendra au Parlement ses positions anti-esclavagiste et libre-échangiste, et s'interrogera sur la colonisation, en particulier en Algérie[21]. Ce « libéral-conservateur »[22] se fera aussi témoin du « rapetissement universel » emporté par la promotion au pouvoir d'une classe moyenne « ne songeant guère aux affaires publiques que pour les faire tourner au profit de ses affaires privées » (Souvenirs)[23]. Il fit en outre partie de la Société d'Économie Charitable, réunion de députés catholiques sociaux, pour la plupart légitimistes.
En 1842, il est élu conseiller général de la Manche par le canton jumelé de Montebourg/Sainte-Mère-Église, qu'il représente jusqu'en 1852. En 1846 il participe à la création du groupe de la Jeune Gauche en rédigeant la partie économique et sociale du programme[24]. Ce groupe représente un mouvement réformiste de la Monarchie de Juillet qui avortera. Le il est élu au second tour de scrutin (par 24 voix sur 44 votants) président du conseil général[25], fonction qu'il occupe jusqu'en 1851[26].
Après la chute de la Monarchie de Juillet, il est élu à l'Assemblée constituante de 1848. C'est une personnalité éminente du parti de l'Ordre, un parti pourtant résolument conservateur. Prenant conscience du poids de la classe ouvrière et de l'émergence du socialisme avec la Révolution française de 1848, qu'il considère comme une trahison de la révolution de 1789, il approuvera la répression des Journées de Juin.
Il est membre de la Commission chargée de la rédaction de la Constitution française de 1848. Il y défend surtout les institutions libérales, le bicamérisme, l'élection du président de la République au suffrage universel, et la décentralisation. Il est élu en 1849 à l'Assemblée législative, dont il devient vice-président.
Hostile à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, lui préférant Cavaignac, il accepte cependant le ministère des Affaires étrangères entre juin et octobre 1849 au sein du deuxième gouvernement Odilon Barrot. Opposé au Coup d'État du 2 décembre 1851, il fait partie des parlementaires (dont Berryer et Lanjuinais) qui se réunissent à la mairie du Xe arrondissement et votent la déchéance du président de la République. Incarcéré à Vincennes, puis relâché, il quitte la vie politique. Le 14 janvier 1852, il n'en adresse pas moins une lettre au comte de Chambord, lui conseillant de devenir, face au césarisme renaissant, le champion des libertés. Retiré en son château de Tocqueville, il entame l'écriture de L'Ancien Régime et la Révolution, paru en 1856, dont le sujet porte sur le centralisme français. La seconde partie reste inachevée, quand il meurt en convalescence à la Villa Montfleury de Cannes le 16 avril 1859, où il s'était retiré six mois plus tôt avec sa femme pour soigner sa tuberculose. Il est enterré au cimetière de Tocqueville.
Se fondant sur l'observation des interactions sociales et l'analyse de leurs déterminants et de leurs effets, Tocqueville défend la liberté individuelle et l'égalité en politique, les deux concepts étant à son sens indissociables. Il défend la démocratie tout en identifiant les risques de dérive qui en sont inhérents. Tocqueville souligne notamment l'évolution possible de la démocratie vers une dictature de la majorité au nom de l'égalité et rejette nettement à ce titre toute orientation socialiste. Il insiste aussi sur le rôle fondamental des corps intermédiaires et la décentralisation des pouvoirs et se positionne en opposition au jacobinisme centralisateur. Il identifie enfin le fait que la démocratie peut favoriser, par perte du lien social, les comportements individualistes contraires aux intérêts de la société en son ensemble. Tocqueville est l'une des plus grandes références de la philosophie politique libérale.
Théoricien du colonialisme, légitimant l'expansion française en Afrique du Nord (1841-1846), il fustige néanmoins les violences des armées françaises en Afrique, s'oppose à l'application du régime militaire en Algérie (1848), et défend l'abolition de l'esclavage dans les colonies (1839)[27]. Parallèlement, Tocqueville refuse les considérations de la thèse de son ami Joseph Arthur de Gobineau[28] (Essai sur l'inégalité des races humaines). Sceptique et hanté par la corruption de la démocratie et le déclin des valeurs aristocratiques, il défendra aussi une vision « de la puissance et de la grandeur nationale », annonçant le « nationalisme du siècle suivant »[29].
Son œuvre fondée sur ses voyages aux États-Unis (1831-1832) est une base essentielle pour comprendre ce pays, en particulier les fondements de la démocratie américaine au cours du XIXe siècle. Même si une des raisons profondes de son voyage est de partir pour éviter les regards malveillants dus à ses origines aristocratiques, Tocqueville est surtout avide de rencontrer une « grande république »[30], libérale et fédérale. On sait qu'il a aussi consulté une documentation dont on peut citer trois ouvrages essentiels : Le Fédéraliste par Alexander Hamilton, James Madison, et John Jay, puis James Kent (Commentaries on American Law) et Joseph Story (Commentaries on the Constitution of the United States), deux juristes aux opinions conservatrices[31]. Ces ouvrages et commentaires ont le point commun de défendre des positions fédéralistes.
De la Démocratie en Amérique paraît en deux volumes en 1835 et 1840. Beaumont écrira Marie ou l'esclavage aux États-Unis[32], texte également inspiré par leur parcours des États-Unis sous le président Jackson.
Tocqueville est partisan d'une réforme des prisons, qu'il défendra dans le livre sur le système pénitentiaire, écrit avec Gustave de Beaumont, après le voyage en Amérique : Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application (1833).
Il sera l'auteur de plusieurs rapports et projets de loi. Il préconise le principe du panoptisme (décrit par Michel Foucault dans Surveiller et punir) pour réformer les prisons françaises, basé sur l'isolement cellulaire individuel (prison de Cherry-Hill à Philadelphie). Cet objectif ne sera réalisé en France qu'à la fin du XIXe siècle.
Plus encore que l'amendement du prisonnier, son objectif majeur en matière de politique pénale est la protection de la société. Il est également un des membres fondateurs de la colonie pénitentiaire de Mettray pour jeunes mineurs délinquants. Mettray est le modèle où se concentrent toutes les technologies coercitives du comportement...[33]. C'est la face sombre, occultée, de ce libéral démocrate[34].
Durant son séjour aux États-Unis, Tocqueville s'interroge sur les fondements de la démocratie. À la différence de Guizot, qui voit l'histoire de France comme une longue émancipation des classes moyennes, il pense que la tendance générale et inévitable des peuples est la démocratie. Selon lui, celle-ci ne doit pas seulement être entendue dans son sens étymologique et politique (pouvoir du peuple), mais aussi et surtout dans un sens social.
Ainsi la première caractéristique de la société démocratique est l'égalité des conditions. Celle-ci n'est pas rigoureusement définie chez Tocqueville. Elle est à la fois un principe et un fait, et ce qu'elle recouvre évolue avec la société démocratique. Plus précisément, l'égalité des conditions est « imaginaire », n'annulant pas l'inégalité économique, mais modifiant l'ensemble des relations entre les hommes, en faisant de l'égalité la norme. Autrement dit, l'égalité des conditions implique l'absence de castes et de classes tout en indiquant qu'elle n'équivaut pas à la suppression de la hiérarchie sociale ou politique. Contrairement à la société aristocratique, aucun des membres de la société démocratique ne subit sa destinée du fait de la position sociale qu'il occupe, et la hiérarchie sociale ne renvoie plus à un ordre social préétabli qui assigne à chacun une place, des droits et des devoirs propres. L'égalité des conditions constitue une autre appréhension de la structure sociale : les positions ne sont certes pas équivalentes, mais elles ne cristallisent pas la totalité de l'existence sociale des individus, ce qui fait que la condition sociale évolue avec la société démocratique (la fortune ou la propriété voient leur rôle se transformer). L'égalité des conditions se redéfinit sans cesse et ne peut se dissocier de la dynamique sociale. Mais plus que d'égalité, il faut parler d'égalisation dans la perspective de l'ordre social démocratique.
Pour exemple Tocqueville expose la relation qui s'établit entre un maître et son serviteur dans la société démocratique par rapport à celle qui règne dans la société aristocratique. Dans les deux cas il y a inégalité, mais dans l'ancienne société elle est définitive, alors que dans la société moderne elle est libre et temporaire. Libre car c'est un accord volontaire, que le serviteur accepte l'autorité du maître et qu'il y trouve un intérêt. Temporaire parce qu'il y a le sentiment désormais partagé entre le maître et le serviteur qu'ils sont fondamentalement égaux. Le travail les lie par contrat et, une fois celui-ci terminé, ils sont deux membres semblables du corps social. Les situations sociales peuvent être inégalitaires, mais elles ne sont pas attachées aux individus. Ce qui compte c'est l'opinion qu'en ont les membres de la société : ils se sentent et se représentent comme égaux, et le sont comme contractants.
L'égalité des conditions est donc un fait culturel, une construction sociale, une représentation. C'est cette attitude mentale qui fait de l'homme démocratique un homme nouveau, dont les actes sont marqués par ce qui prend l'allure d'une évidence. L'égalité des conditions pour Tocqueville articule ce qui est de l'ordre du principe : absence de distinctions sociales fondées juridiquement, égalité des droits, sentiment collectif de l'égalité néanmoins « égalité imaginaire », car l'égalité civile peut tout de même coexister avec l'inégalité économique ou politique.
Paradoxalement, l'égalité des conditions, en fragilisant toutes les relations hiérarchiques de subordination (entre les maîtres et les serviteurs, les hommes et les femmes, les adultes et les enfants), tend à détruire les liens de dépendance, de protection que le monde aristocratique a pu préserver. Mais pour Tocqueville, il y a quasi équivalence entre la démocratie (au sens politique) et l'égalité des conditions. Il considère que tous les hommes possèdent comme attribut la liberté naturelle, c’est-à-dire la potentialité d'agir librement. La liberté se traduit dans la cité par l'égalité des droits civils et civiques[35]. On fait référence ici à la liberté, c'est-à-dire de ne pas être obligé de faire telle ou telle chose, mais aussi la liberté de prendre part à la vie publique. L'égalité des conditions renvoie à la citoyenneté.