Satyajit Ray s'impose d'emblée comme un grand cinéaste avec ce film tourné pourtant dans des conditions difficiles faute de moyens. Le tournage s'étale sur cinq années, les acteurs sont des amateurs, et l'équipe technique est inexpérimentée. Et puis le sujet est "casse-gueule" : filmer l'innocence de l'enfance sur fond de réalisme dans le Bengale rural des années 20, dans un pays où les films musicaux sont légion déjà à cette époque. C'est grâce à une grande puissance visuelle, à son sens du détail, du cadrage et du rythme, accompagné de la musique enjouée de Ravi Shankar, que le réalisateur nous transporte vers une émotion universelle.
Le film est vraiment charmant et les sourires d'Apu, de sa soeur espiègle, du père animé par ses ambitions littéraires ou de la vielle tante saugrenue et malicieuse viennent adroitement contrebalancer la colère rentrée de la mère face à leurs conditions de vie et à l'absence du père ou l'animosité de la voisine pour cause de chapardages. La dernière partie du film, plus grave, est poignante et montre le jeune Apu prêt à affronter les difficultés de la vie.
On pourra suivre le personnage en tant qu'adolescent puis adulte dans L'Invaincu et Le Monde d'Apu. Une trilogie humaniste inspirée par Jean Renoir -lequel avait poussé Satyajit Ray à réaliser son film-, le néo-réalisme italien, ou encore à rapprocher de Chaplin, Kurosawa et Ozu. En ce début d'année 2015 à l'atmosphère tendue, il est très bénéfique de se plonger dans ce film sorti il y a tout juste 60 ans (et primé l'année suivante à Cannes). Le regard poétique mélé de compassion que porte le cinéaste indien, lui l'homme de la ville, sur la vie difficile de cette famille rurale au sein de laquelle amour et gaieté persistent, fait du bien.
GD - Janvier 2015